Philosophe, romancier, poète, professeur, Valentin-Yves Mudimbe s’est éteint à l’âge de 83 ans.
Figure discrète mais au rayonnement immense, le professeur Mudimbe décédé dans la nuit du lundi 21 au mardi 22 avril 2025 en Caroline du Nord laisse un vide profond dans le paysage des lettres africaines. Chez Africa Lisapo, nous saluons l’héritage d’un homme qui a su ouvrir des brèches là où d’autres bâtissaient des murs.

De Likasi à l’exil : un itinéraire de pensée
Né en 1941 à Likasi (anciennement Jadotville), en RDC, Mudimbe est formé dans les établissements catholiques de sa région. Il entre très jeune au séminaire bénédictin, y fait son noviciat, avant de renoncer à la voie sacerdotale. Il poursuit alors des études supérieures de philosophie qui le mèneront à l’enseignement. Au début des années 1970, il amorce une carrière de professeur à l’Université nationale du Zaïre à Lubumbashi, où il est nommé doyen de la Faculté de philosophie et de lettres de 1972 à 1974.
En 1979, comme nombre d’intellectuels zaïrois, il s’engage sur la route de l’exil. Aux Etats-Unis où il s’installe, il devient professeur au Harverford College, à l’université Stanford, et à la Duke University où il contribue à former une génération de penseurs critiques et transcontinentaux..
Auteur d’une oeuvre rigoureuse et protéïforme, Mudimbe reste incontournable pour son essai majeur L’Invention de l’Afrique (1988). Dans ce texte, il déconstruit les catégories dominantes, celles qui ont figé l’Afrique dans une altérité utile à l’Occident. Il n’accuse pas. Il interroge. Et dans cette interrogation, il restitue aux penseurs africains leur capacité à reconfigurer les savoirs, à penser autrement.
Avant la notoriété académique, il y avait le romancier. Et son roman Entre les eaux, publié en 1973, donne le ton de toute son œuvre. Pierre Landu, le héros du roman, est prêtre. Formé en Europe, revenu au pays, il devient le symbole d’un tiraillement profond : être noir dans une Église perçue comme étrangère, et choisir entre Dieu et la révolution. Ce roman dit tout : les déchirements, les contradictions, mais aussi la dignité des quêtes africaines. Un roman dense, lucide, habité par le conflit intérieur, qui anticipe déjà les grandes lignes de l’œuvre philosophique à venir.
Quel héritage pour la postérité?
Valentin-Yves Mudimbe laisse bien plus qu’un corpus académique. Il lègue une méthode pour penser en dehors des routes tracées, une exigence critiques face aux savoirs dominants et une insatiable curiosité pour une Afrique plurielle, vécue et incarnée.
Ceux qui écrivent, filment, enseignent, entreprennent trouveront dans son œuvre un appel à reconsidérer les récits et à raconter autrement.