Hortense Assaga : « l’Africain doit apprendre à aimer qui il est »

by Meryll Mezath


Figure emblématique du paysage médiatique panafricain, Hortense Assaga est une fervente défenseure de la créativité africaine contemporaine. Dans son beau livre, Made in Africa – Dans ma valise, elle met en lumière le travail de celles et ceux qui produisent le beau à travers le continent africain. Rencontre.

Africa Lisapo : En te rendant sur les marchés, ton acte d’achat était-il déjà motivé par ce projet ?

Hortense Assaga : Non. L’acte d’achat a toujours été spontané parce que j’aime le beau. Et c’est une chance. Je remercie mes parents, car j’ai grandi dans un environnement où le Made in Africa était valorisé. Petite, j’ai toujours vu chez moi des objets qui venaient d’Afrique et qui sont africains. Plus tard, quand j’ai eu cette démarche d’acquisition, c’était avant tout parce que j’aime ces objets.

A.L : À chaque voyage sur le continent, tu te rends dans les marchés. Qu’est ce qui t’y amène?

H.A : Premièrement, je suis une folle des marchés. Pour moi, c’est là que tout se joue humainement. On y rencontre les femmes. Qui mieux qu’elles sont les vecteurs du message culturel, de la réalité économique, politique ? Ensuite, il y a le travail fait à la main. C’est ce qui guide mes acquisitions.


« Je voulais vraiment que ce soit un reflet de l’Afrique artisanal à travers le textile, la poterie, les sculptures, tout ce qui, pour moi, fait l’essence de l’Afrique. »


A.L : Ce beau livre est justement le fruit de vos acquisitions. Comment l’idée a t-elle germé et comment l’avez vous construit ?

J’ai toujours eu en mémoire ce livre. En 2020, j’étais au Sénégal, lorsqu’un copain médecin m’a téléphoné en me disant : « on ne sait pas ce qui se passe, il faut que tu rentres ». Puis le confinement est arrivé. Ce temps m’a permis de faire l’inventaire et de me dire : voilà ce que j’ai dans mes valises. Ensuite, j’ai structuré le livre autour de différentes thématiques. Je voulais vraiment que ce soit un reflet de l’Afrique artisanal à travers le textile, la poterie, les sculptures, tout ce qui, pour moi, fait l’essence de l’Afrique.

A.L : Pourquoi avoir choisi le format pour parler de artisanat ?

H.A : Je voulais un beau livre parce que je suis lectrice de beaux livre. Et je ne nous vois jamais, (nous africains, Ndlr), dans ce versant là. Quand on parle de l’Afrique, c’est toujours sous l’angle des animaux, des safaris. Je rêverais d’avoir les moyens de faire des photos de safari, mais pour parler de l’humain.

J’ai choisi le biais de l’artisanat, du fait main, des savoir- faire et de la transmission. Trop souvent et malheureusement on ne classe pas notre continent dans le rayon « beau ». Par exemple, les bracelets que je porte sont en plastique recyclés. Quand je les porte partout dans le monde, les gens me demandent ça vient d’où. Et quand je dis d’Afrique on me dit « really ? ». Cela veut dire qu’on n’associe pas ces savoirs faire, cette finesse, cet esthétique, ce beau forcément au continent africain, alors que certaines certaine marques occidentales vont sourcer dans des pays comme Madagascar, le Maroc, etc ?

A.L : Comment expliquer cette dévalorisation de ce qui vient d’Afrique ?

H.A : Tout simplement parce que nous, Africains, ne valorisons pas assez nos cultures. Depuis quelques années, l’expression « appropriation culturelle » est devenue très à la mode. Quand une star américaine, européenne, s’approprie un attribut africain (le cauris, un textile), tout le monde s’exclame : « Waouh, Africa is the future ! ». Mais quand ce sont des designers, des créateurs ou de simples gens qui valorisent ce Made in africa, ils ne sont pas regardés de la même manière. Personne ne dira, c’est « hype». Nous avons un vrai problème de valorisation de notre patrimoine.

D’un autre côté, c’est historique le fait que ce qui provient d’Afrique soit politiquement perçu comme « cheap », moins chers, dévalorisé, mal fini, etc. Prenons le cas de nos matières premières comme le cacao et le café. Ils sont produits en Afrique. Demandez à n’importe quel gamin en Europe, d’où vient le chocolat, il vous répondra qu’il vient de Suisse.

On peut acheter le chocolat à des millions, mais à l’agriculteur qui le cultive à la machette, on n’achètera pas la fève de cacao au juste prix. Or, la culture du cacao se fait à la main. Il n’est pas industrialisé. Par contre, on accepte de payer des fortunes pour des petits carrés de chocolat.


Lartisanat est un facteur clé de développement économique, social et culturel. Il faut l’encadrer par la formation, l’éducation et une meilleure commercialisation, à l’échelle nationale et continentale.


A.L : L’absence de structures fortes n’explique-t-elle pas cette réalité ? Certaines marques occidentales sourcent en Afrique et construisent un storyteling autour du fait main et des artisans locaux. Pourtant, ces artisans comme les agriculteurs dans leur domaine, sont souvent sous-payés et ne bénéficient pas d’une juste reconnaissance pour leur travail…

H.A : Cette question est très intéressante, car elle touche à la sphère politique, économique et sociale. Prenons l’exemple de la protection intellectuelle : il y a deux organismes sur le continent. L’Afrique francophone a le sien, tout comme l’Afrique anglophone. Nous n’arrivons même pas à nous coordonner là dessus.

En matière d’artisanat, c’est encore plus flagrant. L’artisanat, dans nos pays, est souvent accolé a des gens qui n’ont pas réussi leur vie. On dit souvent que c’est de petites gens, ils vendent leur choses sur le marché, ils survivent, ils sont pauvres. Alors que ce sont des créateurs du beau au quotidien. Ce sont eux qui embellissent l’Afrique.

L’artisanat est un facteur clé de développement économique, social et culturel. Il faut l’encadrer par la formation, l’éducation et une meilleure commercialisation, à l’échelle nationale et continentale. Mais ce sujet ne figure pas à l’agenda des dirigeants. Et lorsqu’ils s’y intéresseront, il sera peut-être trop tard. Certains artisans auront pris la mer, la Méditerranée sera devenue leur cimetière…

Un artisan qui fabrique un objet, un bracelet, une bague, et vend son travail n’a aucune raison de tout abandonner pour migrer. Grâce aux revenus de son activité, il peut nourrir sa famille, élever ses enfants et bâtir un avenir stable. C’est l’aspiration de tout être humain.

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A.L : Que faire aujourd’hui pour labelliser le Made in Africa ?

H.A : On fait confiance au label. Quand on pense maroquinerie, on pense à l’Italie. Quand on pense parfum, on dit la France. Haute couture ? Paris. Ces labels reposent sur des savoir-faire transmis et une qualité reconnue. Le Made in Africa requiert exactement la même considération.

Aux décisionnaires, j’ai juste envie de leur dire, retournez-vous et regardez d’où vous venez. On a tous en Afrique des liens avec les villages. Et qui dit village, dit objets artisanaux : pierres à écraser, marmites en fontes dans lesquelles on fait les meilleurs saka saka, ndolé, fubwa, sauce graine ou thiéboudienne. Les dirigeants ont grandi dans un univers où on écrase le piment avec la pierre à écraser.

Le reste du monde se bat pour préserver des métiers liés au savoir faire manuel, mais l’Afrique a la chance d’avoir encore des sachant qui les maîtrisent. Ces tisserands, potiers, vanniers et bijoutiers ont une qualité de travail qui doit être reconnu et valorisé. Il est temps d’y investir surtout. Ceux qui ont de l’argent, consommez du made in Africa.

Le panier est à la mode en occident. Il peut coûter jusqu’à 1000 euros. Souvent, des marques vont au Maroc, ou à Madagascar, font fabriquer sur place, et ajoutent simplement leur logo. Pourtant, c’est bien du Made in Africa. Moi, le plus cher me revient à 15 euros.

A.L : L’Africain doit-il réapprendre à aimer ce qui vient de son continent ?

H.A : Oui « l’Africain doit apprendre à aimer qui il est ». Il doit cultiver une meilleure estime de lui-même. Ma fierté, c’est de me dire qu’entant qu’africaine, ma garde-robe est aussi africaine. En partie, car nous sommes citoyens du monde. Je ne parle pas d’autarcie. Mais en tant que citoyenne du monde, une partie de mon monde est africain. C’est pourquoi je consomme africain. Chez moi, j’ai des objets d’Afrique en compagnie du reste du monde. Si non la balance est trop excédentaire en défaveur de l’Afrique.

Propos recueillis par Meryll Mezath

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