Christ Bikouedi: Une gastronomie africaine riche de sens

by Meryll Mezath


Avec sa cuisine raffinée et solaire, le chef congolais redéfinit les codes d’une gastronomie sensible et enracinée. Né à Pointe-Noire, Christ Bikouedi puise dans son héritage et se nourrit de ses voyages en Asie, dans le Moyen Orient ou au Maghreb. Le résultat est une gastronomie élégante, sensorielle et profondément incarnée qui se déguste lors de dîners privés ou de résidences à Paris, Cannes ou Tokyo.

Il revendique une vision élitiste de la gastronomie africaine. Cette position affirmée, l’objectif est de hisser cette cuisine à un haut niveau d’exigence et de représentation. Son histoire, ses expériences et ses influences plaident en sa faveur. « J’ai été nourri par les arts plastiques, la littérature, le cinéma. J’ai exploré de nombreuses choses dans ma vie. Ce qui m’intéresse: c’est l’histoire que je vais raconter. Quant à la manière de raconter, je ne me mets pas de cases. »

Sa cuisine libre s’impose comme un espace de création, au croisement de plusieurs cultures. Les résidences à Paris et dans d’autres capitales du monde deviennent l’écrin de restitution de ses influences multiples.

La diversité de saveurs empruntées aux traditions culinaires découvertes lors de ses voyages fait toute la singularité de sa cuisine, « J’aime énormément les épices et les poivres. C’est ce qu’il y a de plus ancré dans une tradition. Les poivres et les épices sont très spécifiques à une culture. J’utilise beaucoup le poivre du Likouala, de Pendja et de Madagascar. » Du Moyen- Orient, il fait dialoguer le cumin, le ras-el-hanout et le paprika. De l’Asie, le piment togarashi a trouvé sa place parmi les incontournables du chef. «De la même manière que je mélange les cultures, je mélange aussi les épices et les poivres. C’est pour cela qu’il y a un goût très singulier dans ma cuisine. ».

L’expression d’une sensibilité

Le jeune Christ grandit dans une famille aimante. Avec un père cadre dans les ressources humaines, une grande sœur dans la finance, il semblait prédestiné à un parcours classique. Dans la ville océane, s’il n’est pas spécialement saisi par les odeurs et les saveurs de son enfance, se développe tout de même une véritable sensibilité aux autres et au monde qui l’entoure. « Cela se traduisait par le dessin et par mille manières et envies de créer différemment. »

A quatorze ans, sa famille s’installe en France. Il découvre les arts plastiques, la photographie, visite les musées. Il est fasciné par les arts visuels. Le coup de foudre : «Je me dis je vais faire ça.»

Ses parents sont sceptiques, ne savent vraiment pas de quoi il s’agit. Mais ils ne freinent pas son choix. « Ils ont l’intelligence de se dire : on a quelqu’un qui est un peu différent en terme de sensibilité. » Cette acceptation lui donne des ailes.

Débute alors un parcours qui le conduit d’abord à Paris dans une école de mise à niveau, puis à Bruxelles où il est accepté dans une école des beaux arts, avant de rejoindre les Beaux-Arts de Paris.

Pendant trois ans, il se forme, travaille une personnalité artistique, porte des locks à la Basquiat, questionne son identité. «ll y a plein de question qui se posent que j’aurais peut- être moins eues avec la cuisine. Elles se posent, on va chercher, on va creuser. L’art amène ça. Et qui dit art, dit aussi identité. Qui dit identité dit identité culturelle, tradition , origine, racine.»

Dans ce cheminement, le Congo n’est jamais loin. Il y retourne, le redécouvre et se nourrit de cette énergie particulière propre à Pointe-Noire. La cuisine, il la pratique parce qu’il aime le faire naturellement.

Sur la route des possibles, des rencontres essentielles

Les beaux-arts terminés, il atterrit dans les médias, fait de la photo et vidéo jusqu’à ce jour de 2014 où il s’arrête devant un bâtiment en travaux et décroche ce qui deviendra son premier poste dans la restauration. « Je m’arrête parce que le lieu était atypique et assez beau dans Paris. Je vois des femmes qui y travaillent. J’entame une discussion. Elles me disent qu’elles vont ouvrir un restaurant. Je leur explique que j’aime cuisiner et que que je souhaite découvrir ce monde de l’intérieur. Elles me disent : « Viens bosser ». J’accepte. »

Il y a chez Christ Bikouedi un naturel déconcertant dans son approche de la vie. Sa curiosité mêlée à son authenticité et cette pointe d’audace constituent autant d’enseignements. Dans ce nouvel établissement, il fait ses premières armes, d’abord en salle puis en cuisine. Il apprécie cette énergie et quitte son emploi dans les médias. « Je décide de me lancer dans la restauration en me disant on verra ce que ça donne.»

Il s’inscrit dans une école de gastronomie française, Ferrandi Paris. Son CAP en poche, il part en Thaïlande avec une amie. Pendant six mois, les deux découvrent les traditions locales, s’invitent chez l’habitant et travaillent dans des restaurants. L’expérience est exceptionnelle.

S’enchaînent d’autres voyages qui le mèneront d’abord au Liban, où il travaille pour le chef Joe Barza, puis à Chipre avant de poser plus tard ses valises au Maroc pendant deux ans.

Au Maroc, il rencontre, grâce à une cheffe canadienne, un homme d’affaires marocain, propriétaire d’une ferme de permaculture. Ce dernier veut développer des restaurants sans savoir comment s’y prendre. Christ accepte le défi, « Ma philosophie de vie, c’est faisonsle on verra. Le Maroc n’est peut être ma culture, mais j’ai un pied sur le continent. Et j’ai carte blanche. Il y a un terrain de jeu, une ferme et des produits que je peux pas avoir en France. »

Aux côtés de l’homme d’affaires, il apprend la culture des produits. « C’est intéressant parce qu’on est sur un terroir africain avec des conditions climatiques qui permettent d’avoir des produits qui parlent à ma cuisine» Ensemble, ils montent une boulangerie et un restaurant gastronomique.

Mory Sacko, une collaboration fondamentale

Parmi les dix rencontres décisives de son parcours, trois se détachent. Celle avec le chef étoilé Mory Sacko est fondamentale. La rencontre est facilitée par l’entrepreneur Camerounais Etienne Biloa. Les deux chefs se rencontrent. Le parcours atypique de Christ séduit le chef étoilé. Pour Christ c’est l’opportunité de travailler avec grande personnalité de la scène culinaire africaine et internationale. Surtout, « l’entente est immédiate. explique t-il. On a des visions assez parallèle. Il me dit qu’il a besoin d’un chef pour traduire sa cuisine. Je suis un apprenant, j’ai les épaules pour ça. On fait ce projet »

Parmi les dix rencontres décisives de son parcours, trois se détachent. Celle avec le chef étoilé Mory Sacko est fondamentale. La rencontre est facilitée par l’entrepreneur camerounais Étienne Biloa. Les deux chefs se rencontrent. Le parcours atypique de Christ séduit le chef étoilé. Pour Christ, c’est l’opportunité de travailler avec une grande personnalité de la scène culinaire africaine et internationale. Surtout, « l’entente est immédiate, explique-t-il. On a des visions assez parallèles. Il me dit qu’il a besoin d’un chef pour traduire sa cuisine. Je suis un apprenant, j’ai les épaules pour ça. On fait ce projet. »

Christ devient chef executif au Lafayette’s. Sa cuisine traduit celle de Mory tout en lui laissant un champ d’expression. Une collaboration, on s’en doute, extrêmement nourrissante qui pose les bases d’une réflexion plus claire sur l’histoire qu’il souhaite raconter à travers sa propre cuisine.

« Il m’a beaucoup influencé. Il m’a appris à structurer ma pensée, à affirmer ma vision. J’ai compris qu’il n y a pas de concession à faire sur son identité. Je l’ai vu parler à des hommes d’affaires richissimes, sans dénaturer sa cuisine. Il a confiance, il sait ce qu’il fait. Avant, on disait : si tu t’affirmes, on va te mettre sur le côté. Maintenant, si tu t’affirmes, on va te respecter. Cela fait partie des prises de pouvoir qu’on doit avoir. Ne plus se cacher et s’affirmer. C’est de cette façon qu’on nous respectera.  ».

Aujourd’hui, Christ Bikouedi à troqué ses locks pour une casquette vissée sur sa tête. Plus besoin de se construire une personnalité : il incarne son héritage et son histoire. Il prend plaisir à travailler les végétaux, parce que dit-il, «le terrain de jeu est beaucoup plus intéressant. » Les saveurs d’agrumes qu’il convoque cotoient l’umami et le sucré-salé. Des marqueurs qui, ajoutés à l’amplitude caractéristique des épices et des poivres, apportent à ses propositions culinaires un goût de voyage, sensoriel et visuel.

COVER AFRICA LISAPO - CHRIST BIKOUEDI (AOUT 2025)
COVER AFRICA LISAPO – CHRIST BIKOUEDI (AOUT 2025)

Retrouvez le chef Christ Bikouedi chez Sens jusqu’au 28 août 2025 ( 9 rue d’Oran, 06400 Cannes.)

Meryll Mezath

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